GRÈCE ANTIQUE - La Grèce antique jusqu’à Constantin

GRÈCE ANTIQUE - La Grèce antique jusqu’à Constantin
GRÈCE ANTIQUE - La Grèce antique jusqu’à Constantin

Rien ne semblait a priori destiner la péninsule grecque à être le centre d’une des plus brillantes civilisations de l’histoire, de la première surtout qui sut poser les problèmes auxquels l’homme n’a pas encore fini de chercher des réponses. Le pays est en effet aride, le relief compartimenté, le climat rude l’hiver, chaud l’été. Peu de grandes plaines, sauf dans le Nord (Macédoine, Thessalie). Ailleurs, de petites plaines entourées de reliefs escarpés, où l’homme a dû s’accrocher pour tirer de quoi subvenir à ses besoins. Peu de ressources minérales, et notamment très peu de fer. Des communications malaisées par voie de terre. Mais partout, la mer pénètre profondément par toutes les échancrures du relief, une mer parsemée d’îles, où la navigation n’est pas toujours facile, mais qui constitue la voie principale de tous les échanges et de tous les contacts.

Faut-il alors, comme on a été tenté de le faire, parler de «miracle grec», imaginer une terre privilégiée où des hommes plus intelligents auraient tout inventé? Ce serait méconnaître une réalité beaucoup plus complexe, prendre Athènes pour la Grèce tout entière, ignorer qu’à Athènes même subsistaient des traces d’un passé obscur et primitif. Ce serait oublier aussi que cette civilisation brillante, cette culture raffinée n’ont été possibles que parce que l’homme libre se déchargeait d’une partie du soin d’assurer sa subsistance sur une masse d’esclaves ou de dépendants qui lui demeuraient à jamais étrangers, comme ils étaient étrangers à la vie de la cité. Nier la réalité de l’esclavage grec, sous prétexte de laver la Grèce d’une souillure qui la ternit, c’est se refuser à voir les faits, c’est aussi introduire dans la réflexion historique une sentimentalité dont elle n’a que faire. La Grèce antique n’a pas été ce monde de pureté auquel fait penser la blancheur de ses temples... qui d’ailleurs étaient peints de couleurs violentes! C’est un monde de violence et de cruauté, de feu et de sang, qui a vécu presque perpétuellement en état de guerre. Mais c’est aussi le monde où pour la première fois les hommes ont pris en main leur destin et affirmé, face aux dieux et à ceux qui se voulaient leurs héritiers, l’égalité des hommes et le droit du plus humble, pourvu qu’il soit membre de la communauté civique, à juger des intérêts de la cité. Plus que le Parthénon, que les tragiques ou que l’éloquence démosthénienne, ce qui fait la grandeur de la Grèce ancienne, c’est d’avoir inventé la politique.

1. Migrations et peuplement

Premiers établissements et civilisation mycénienne

Dans ce pays si peu fait pour retenir l’homme, les premiers établissements humains apparaissent dès le Ve millénaire, parsemés et peu importants, mais qui témoignent qu’au Néolithique la Grèce était déjà habitée. Puis, vers la fin du IVe millénaire, de nouveaux arrivants s’installent dans le pays, atteignant des régions non encore habitées. On pense qu’ils étaient originaires d’Anatolie. La Grèce entre alors dans l’âge du bronze, et c’est à la fin de l’époque dite du bronze ancien, vers le début du IIe millénaire, qu’arrivent de nouveaux envahisseurs en qui on s’accorde à reconnaître les premiers Grecs, des Indo-Européens venus du nord. Ils n’apportèrent pas d’abord de notables modifications dans la vie des populations balkaniques. La plupart des termes qui, dans la langue grecque classique, désignent les cultures traditionnelles (blé, vigne, olives) sont des vocables d’origine anatolienne. On peut donc supposer que les premiers Grecs empruntèrent aux occupants primitifs ces termes et les techniques qu’ils recouvraient. Les Grecs apportèrent cependant avec eux deux nouveautés: le cheval et une céramique raffinée dite minyenne.

Pendant les premiers siècles du IIe millénaire, la Grèce semble vivre repliée sur elle-même, sans contact avec le monde extérieur. Les choses changent brusquement à partir de 1580 environ. Faut-il y voir un rapport avec l’arrivée d’une nouvelle vague d’envahisseurs grecs? Les avis sur ce point divergent. Mais les archéologues constatent alors le développement d’une civilisation brillante, très proche de la civilisation crétoise et qu’on appelle la civilisation mycénienne, du nom d’un de ses centres les plus importants, l’acropole de Mycènes au nord-est du Péloponnèse. Personne aujourd’hui ne songerait à reprendre l’hypothèse de sir John Evans d’une conquête par la Crète du continent hellénique. Tout au plus pense-t-on à des relations (militaires, commerciales?) avec la grande île. Les fouilles menées systématiquement sur les sites mycéniens, le déchiffrement des tablettes en linéaire B trouvées dans les ruines de Pylos permettent de se faire une idée un peu plus précise de ce monde mycénien, bien que de nombreux problèmes demeurent insolubles.

Le monde mycénien forme un tout et pourtant chaque centre paraît avoir eu une existence indépendante. Ce qui frappe lorsqu’on tente d’analyser la nature et les caractères du monde mycénien, ce n’est pas tant la richesse de ses princes, dont le souvenir s’est conservé jusqu’à l’élaboration des poèmes homériques, que l’organisation palatiale très poussée, devinée à la lecture des tablettes et qui n’est pas sans évoquer celle des grandes cités mésopotamiennes. Quelle était la puissance exacte des princes qui régnaient sur ces États? Il est presque impossible de le dire, de même qu’on ne peut savoir s’il existait entre eux des liens de dépendance qui auraient permis aux Achéens d’entreprendre les vastes expéditions que supposent la conquête de la Crète et, si elle eut lieu, la guerre de Troie. La connaissance que nous avons de ces faits est très vague; une épopée ne peut être tenue pour un récit historique, et la guerre de Troie n’a peut-être été qu’une expédition de pirates. Quant aux Achéens qui figurent sur les documents hittites, on pense qu’ils venaient de Rhodes ou de Pamphylie, et non du Péloponnèse. Enfin, les tablettes de Pylos sont d’époque assez tardive, et il est peut-être abusif de généraliser à partir d’un exemple unique.

Quoi qu’il en soit, la civilisation mycénienne se développa pendant plus de trois siècles, tant dans le Péloponnèse qu’en Béotie et en Attique, et, si l’on ne peut parler d’un empire achéen sans fausser la réalité, des traces de cette civilisation se trouvent tant en Asie Mineure qu’en Occident; le fait même que ces Achéens aient eu une écriture, mise au service d’une administration très complexe, révèle combien leur société et leur organisation étaient différentes de la société militaire primitive des poèmes homériques, et leur civilisation à la fois riche et complexe.

Les Doriens

On est surpris de voir subitement disparaître la civilisation mycénienne vers la fin du XIIe siècle. Et l’on est tenté de considérer cette disparition, qui semble avoir été brutale, comme liée à l’arrivée de nouveaux envahisseurs grecs qu’on a coutume de désigner sous le nom de Doriens. Là encore, on se heurte dans l’interprétation des faits eux-mêmes à de grandes difficultés, et la prudence s’impose quand on aborde les problèmes de chronologie. En effet, si certains sites mycéniens disparaissent dès le début du XIIe siècle, d’autres comme Mycènes subsistent encore presque un siècle, ce qui laisse supposer que les nouveaux envahisseurs apparurent par poussées successives et se heurtèrent çà et là à une vigoureuse résistance.

Sur la civilisation qu’ils apportaient, beaucoup d’hypothèses ont été émises qui ne reposent pas toujours sur des certitudes. C’est ainsi qu’on leur attribue deux importantes nouveautés dans le domaine de la civilisation matérielle: l’invention de la métallurgie du fer et la céramique géométrique. Mais, s’il est incontestable que l’une et l’autre font leur apparition en même temps que les Doriens, il n’est nullement prouvé que les deux séries de faits soient liées: le travail du fer semble en effet avoir été d’abord connu en Asie Mineure, d’où il se serait introduit en Grèce par l’intermédiaire de la Crète; pour ce qui est de la céramique géométrique, c’est en Attique et à Chypre qu’elle a connu son développement le plus brillant, c’est-à-dire dans des régions où les Doriens n’avaient pas réussi à s’installer. Quant à leur organisation sociale, elle reste très obscure. Une seule chose est certaine: à la différence des Ioniens répartis en quatre tribus, les Doriens se partageaient en trois tribus, et cette différence subsiste jusqu’à une époque assez tardive dans le monde grec classique. Pour le reste, on devine une société guerrière, dominée par des chefs militaires, assez sensiblement différente de ce qu’était la société mycénienne. S’agit-il ici cependant, comme se plaisaient à le dire les auteurs anciens, d’un trait typiquement dorien qui se retrouve partiellement dans la Sparte de l’époque classique, la cité dorienne par excellence, ou bien est-ce là le propre d’une société à un stade encore primitif de son développement? Problème délicat à résoudre, car une telle société se retrouve entre le XIe et le VIIIe siècle à Athènes et même, comme l’a montré l’historien M. I. Finley, dans le monde de L’Iliade et de L’Odyssée , c’est-à-dire dans le monde ionien et achéen.

La période qui commence à l’aube du XIe siècle, appelée «géométrique» par les archéologues, apparaît de toute façon comme une période obscure, au cours de laquelle s’élaborent les transformations qui donnent au monde des cités grecques sa physionomie définitive. La poussée dorienne a déclenché un vaste mouvement de migration, qui aboutit à l’occupation par des Grecs des côtes occidentales de l’Asie Mineure (Éolide, Ionie, Doride), ainsi qu’au peuplement des îles de la mer Égée (Cyclades et Sporades). Cette occupation eut une très grande importance, car elle mettait les Grecs en contact avec les civilisations orientales. Il en naquit de profondes transformations dans le domaine de la civilisation matérielle et de la culture. Non seulement des systèmes d’échange apparurent, mais aussi des influences religieuses et artistiques se firent sentir, tandis que les Grecs empruntaient aux Phéniciens l’alphabet qui allait devenir le support de leur langue.

La période géométrique est surtout marquée par de profondes transformations sociales qui débouchèrent sur un type nouveau d’État, caractéristique de la civilisation grecque de l’époque classique: la cité. Celle-ci se définit comme une forme politique originale qui repose sur l’existence d’une communauté de citoyens. Cette cité, qui apparaît constituée à l’aube du VIIIe siècle, devient désormais le centre de toutes les décisions concernant la communauté civique. Malheureusement, si l’histoire du monde grec se confond avec celle des cités elles-mêmes, il n’est pas toujours aisé de suivre le développement propre de chacune d’entre elles. Seule l’histoire des plus grandes – Sparte, Corinthe, Athènes – peut être assez fidèlement reconstituée.

2. Les cités grecques

On a coutume de distinguer dans l’histoire des cités grecques trois périodes majeures: archaïque, classique, hellénistique; cette dernière s’achève par la mainmise de Rome sur la Grèce des cités.

La période archaïque

La première période est assez mal connue, car on ne dispose que de témoignages souvent tardifs; elle se caractérise essentiellement par deux séries de faits: la colonisation et la tyrannie.

La colonisation étendit démesurément les limites du monde grec et en implanta la civilisation depuis l’Espagne jusqu’aux rives du Pont-Euxin, avec des conséquences politiques, économiques et culturelles considérables. La tyrannie constitue un moment essentiel dans l’histoire des cités grecques, en assurant le passage de la cité aristocratique des VIIIe-VIIe siècles à la cité isonomique de l’époque classique. Certes, toutes les cités ne passèrent pas par ce stade, et l’exception la plus remarquable reste celle de Sparte, mais Corinthe, Sicyone, Argos dans le Péloponnèse, Samos, Milet en Ionie, Athènes enfin, sans parler des cités grecques d’Occident, subirent le joug de la tyrannie entre le milieu du VIIe et la fin du VIe siècle.

On s’est évidemment interrogé sur l’origine de ce phénomène. Pour certains auteurs, le tyran aurait été une sorte de prince marchand qui, s’appuyant sur une classe nouvelle d’artisans et de commerçants enrichis par le commerce et les échanges, aurait chassé la vieille aristocratie foncière jusque-là dominante. D’autres ont montré que, presque partout, la tyrannie est apparue là où les transformations internes de la société avaient fait naître une crise agraire, et que le tyran s’efforce, par une plus juste répartition du sol, d’y trouver des palliatifs. On a avancé aussi comme élément d’explication les transformations profondes que subit alors la tactique militaire, avec le développement du combat hoplitique. Or, celui-ci était en contradiction avec l’existence d’une aristocratie militaire étroite, qui de ce fait était condamnée à disparaître. En réalité, tous ces facteurs ont pu jouer et leur combinaison explique la variété des expériences tyranniques. Mais, par-delà cette diversité, subsiste une certaine unité qui contribue à donner au monde grec du VIe siècle finissant une physionomie nouvelle. Presque partout, la communauté des citoyens soldats est devenue souveraine, même si elle délègue tout ou partie de cette souveraineté à des corps plus ou moins restreints. Presque partout aussi, la production et les échanges ont fait de rapides progrès, et la monnaie devient un instrument normalement employé. Enfin, des relations se sont établies de cité à cité, des systèmes d’alliance ont été constitués, dont le plus puissant est sans conteste celui qui unit les cités péloponnésiennes, libérées de la tyrannie, à Sparte, l’ennemie des tyrans.

La période classique

Les guerres médiques

Ces systèmes d’alliance ne tardèrent pas à être mis à l’épreuve à l’aube du Ve siècle. La seconde période de l’histoire des cités grecques s’ouvre en effet par ce qu’on a coutume d’appeler la crise des guerres médiques, contre le roi des Perses. L’empire perse s’était constitué au cours de la seconde moitié du VIe siècle, sous la conduite de Cyrus, de son fils Cambyse et du successeur de celui-ci, Darius. Les Perses, partis des hauts plateaux de l’Iran, avaient réussi à soumettre à leur domination le plateau anatolien, la Syrie, la Palestine, la Babylonie, l’Égypte, encerclant ainsi les cités grecques d’Asie qui avaient fini par accepter la domination du vainqueur. Domination qui ne paraît pas d’abord avoir été trop lourde, mais qui, favorisant certaines intrigues politiques dans des cités à peine sorties de la crise de la tyrannie, provoqua un mouvement de révolte qui éclata en Ionie, en 499, à l’initiative de Milet. Les cités ioniennes révoltées firent appel aux cités de la Grèce proprement dite; Athènes, qui se voulait la métropole de l’Ionie et qui, depuis les réformes du législateur Clisthène (508 av. J.-C.), était sortie de la crise qui l’avait secouée pendant tout le VIe siècle, envoya vingt navires au secours des Ioniens. La révolte connut d’abord quelques succès: les alliés s’emparèrent de la capitale lydienne du Grand Roi, Sardes, qu’ils incendièrent (498), mais bientôt il leur fallut se soumettre, et les Athéniens regagnèrent leur patrie.

Toutefois, Darius ne leur pardonnait pas l’aide qu’ils avaient apportée aux Ioniens et, en 490, il prépara une expédition qui était d’abord dirigée contre l’Attique, mais qui était en fait une menace pour le monde grec tout entier. Ce furent cependant les seuls Athéniens, aidés de quelques alliés, qui vainquirent le corps expéditionnaire perse à Marathon, contraignant l’ennemi à rembarquer (490).

Le répit, cependant, fut de courte durée: Darius mort, son fils Xerxès reprenait ses projets sur une échelle beaucoup plus vaste. Il entendait en effet faire passer en Grèce une armée considérable, formée de contingents venus de toutes les parties de son vaste empire, armée qui emprunterait la voie de terre, en franchissant l’Hellespont sur un pont de bateaux, tandis qu’une flotte non moins considérable prenait également le chemin de l’Hellade. Face à la gravité du danger, les cités grecques s’unirent pour faire front: une première réunion des délégués des cités grecques eut lieu au temple de Poséidon, dans l’isthme de Corinthe. La volonté de résistance des Grecs était loin d’être unanime. Certaines cités, comme Thèbes, étaient disposées à ouvrir leurs portes à l’ennemi. D’autres, comme Sparte, souhaitaient surtout renforcer la défense de l’isthme afin d’assurer la sauvegarde du Péloponnèse. Mais Athènes, elle, était prête à faire front. Elle avait alors à sa tête un homme nouveau, c’est-à-dire n’appartenant pas à la vieille aristocratie des genè , Thémistocle. Celui-ci, ayant compris que le destin d’Athènes se jouerait sur mer, avait fait affecter l’argent tiré d’un nouveau gisement de plomb argentifère, récemment mis au jour au Laurion, à la construction d’une flotte de deux cents trières. C’est de cette flotte que vint le salut de la Grèce. En effet, malgré la résistance héroïque de Léonidas, le roi spartiate, aux Thermopyles, l’armée de Xerxès avait réussi à pénétrer en Grèce sans rencontrer une sérieuse résistance, et, une partie des cités béotiennes s’étant ralliées à lui, le Grand Roi avait pu s’avancer avec son armée jusqu’en Attique, abandonnée par ses habitants qui s’étaient réfugiés à Salamine. Dans le même temps, la flotte perse, malgré une demi-victoire de la flotte grecque au large du cap Artémision, s’apprêtait à se rendre maîtresse de la rade de Phalère, coupant ainsi toute possibilité de retraite à la flotte grecque. Thémistocle réussit alors par la ruse à attirer une partie des navires ennemis dans la rade de Salamine, où s’affirmèrent la supériorité et la rapidité des flottes athéniennes et éginètes, qui détruisirent de nombreux navires et contraignirent les Perses à la retraite (sept. 480). L’année suivante, à Platées en Béotie, le reste de l’armée perse qui était demeuré en Grèce fut battu à son tour. C’en était fini des expéditions perses vers la Grèce, et les Grecs eurent le sentiment qu’ils venaient de remporter une très grande victoire et d’affirmer la supériorité de la liberté grecque sur la monarchie barbare.

La ligue de Délos

Les conditions mêmes de la victoire, le fait qu’Athènes – et singulièrement la flotte athénienne – avait été le principal artisan de la victoire eurent des conséquences importantes pour l’avenir de la Grèce. Athènes, en effet, n’entendait pas laisser de répit à l’ennemi. Il s’agissait de profiter de son désarroi pour libérer les Grecs d’Asie, s’assurer des positions stratégiques dans le nord et l’est de l’Égée. Sparte hésita à la suivre sur ce terrain et rappela le roi Pausanias, le vainqueur de Platées, qui s’était emparé de Byzance. Désormais, Athènes prenait la tête des Grecs associés dans une guerre de libération et de défense: ce nouvel état de fait fut concrétisé par la formation d’une ligue dont le centre se trouvait au sanctuaire d’Apollon à Délos, et qui rassemblait autour d’Athènes les cités grecques d’Ionie et des îles soucieuses d’empêcher tout retour offensif du Grand Roi et de préserver par une alliance militaire leur liberté reconquise. Athènes était tout naturellement placée à la tête de cette ligue dont le trésor commun, déposé dans le sanctuaire de Délos, était alimenté par les tributs versés par les cités alliées. Seules les grandes îles – Lesbos, Chios, Samos – contribuaient à la défense commune par l’envoi de contingents maritimes. L’essentiel de la force militaire des alliés était constitué par l’armée et la flotte athéniennes, et placé sous le commandement de stratèges athéniens. L’un d’eux, Cimon fils de Miltiade, le stratège qui avait commandé à Marathon et qui devait diriger la politique extérieure d’Athènes dans les années qui suivirent la formation de la ligue de Délos, remporta une série de victoires, consolidant les positions de la ligue en mer Égée (victoire de l’Eurymédon en 468). Il inaugura aussi une politique qui transforma peu à peu la ligue de Délos en un véritable empire athénien: cette politique se caractérisait par des actions militaires contre tout allié qui tentait de sortir de la ligue (Naxos en 470, Thasos en 465) et par l’installation de garnisons de soldats athéniens sur le territoire des alliés récalcitrants. Pour assurer l’entretien de ces garnisons, les soldats recevaient des lots de terres (klêroi ) pris sur les biens confisqués par Athènes; d’où le nom de « clérouquies » donné à ces établissements, qui se multiplièrent au cours du siècle.

Prééminence d’Athènes au Ve siècle

Tant que Cimon demeura à la tête de la cité, l’alliance entre Athènes et Sparte persista en dépit de heurts multiples. Mais après l’ostracisme de Cimon (461), les démocrates adversaires de Sparte dirigent la politique de la cité, avec Ephialtès d’abord, puis Périclès. À l’intérieur, ils parachèvent l’œuvre de Clisthène, le fondateur de la démocratie, en réduisant considérablement les pouvoirs de l’Aréopage, l’ancien conseil aristocratique, et en instituant la rétribution des fonctions publiques, la misthophorie. À l’extérieur, ils poursuivent la politique «impérialiste» de Cimon, annexant même de nouvelles zones d’influence: région de la mer Noire, d’où Athènes tire le blé nécessaire à l’alimentation de sa population; Égypte (mais l’expédition entreprise en 454 se solde par un échec); Italie méridionale enfin, où une expédition panhellénique, mais à direction athénienne, fonde en 443 la colonie de Thourioi près du site de l’ancienne Sybaris.

Dans le même temps, le poids de la domination athénienne se fait sentir plus durement: les alliés ne sont pas consultés, le trésor de la ligue est transféré de Délos à Athènes, les interventions dans les affaires intérieures des cités membres de la ligue se multiplient (446 en Eubée, 441 à Samos), les alliés sont contraints d’adopter la monnaie et les poids et mesures athéniens, enfin de nouvelles colonies (ou clérouquies) sont installées en Eubée, en Asie Mineure, en Thrace, renforçant encore le dispositif de surveillance athénien. Certes, Athènes profite largement de cette puissance sans cesse accrue et l’on sait assez quel prestige demeure attaché au nom de Périclès; que ce soit dans le domaine de la vie intellectuelle, artistique ou religieuse, Athènes occupe alors la première place. Elle est, pour reprendre l’expression que Thucydide prête à Périclès, devenue un modèle pour les autres cités.

Mais toutes ne témoignent pas du même enthousiasme à son égard. Ainsi Sparte n’a pas vu sans inquiétude se développer l’hégémonie athénienne en mer Égée. Plus que l’Égée, c’est le continent toutefois qui la préoccupe. Aussi la lutte ne tarde-t-elle pas à éclater entre les deux cités, quand Athènes prétend contrôler aussi une partie de la Grèce centrale et septentrionale. C’est ce qu’on a coutume d’appeler la première guerre du Péloponnèse, qui s’achève en 446 par la conclusion de la paix de Trente Ans. Cette paix n’allait durer en réalité qu’une quinzaine d’années, et quand les hostilités reprirent en 431, c’est la Grèce tout entière qui se trouva engagée dans le conflit.

La guerre du Péloponnèse

La guerre du Péloponnèse marque un tournant essentiel dans l’histoire des cités grecques. Elle débuta par une série de conflits locaux qui mirent aux prises Athéniens et Corinthiens. Mais le jeu des alliances entraîna bientôt toutes les cités dans la lutte. Athènes se trouvait dans une position de force, elle avait un puissant empire, une armée considérable, une flotte bien entraînée, des ressources financières abondantes. Périclès souhaitait une issue rapide et avait préconisé une tactique qui consistait à abandonner la défense du territoire, à rassembler toute la population à l’intérieur des murs de la ville et à remporter la victoire par une rapide action maritime. Mais les faits ne permirent pas la réalisation de ce projet. La résistance péloponnésienne fut plus forte que ne le prévoyait le grand stratège athénien. Par ailleurs, une épidémie de peste éclata à Athènes et se développa avec une rapidité d’autant plus foudroyante que la concentration de la population à l’intérieur des murs rendait difficile toute action contre l’extension du fléau. On s’installa donc dans la guerre, ce qui eut pour effet de détacher d’Athènes une partie de ses alliés, en même temps que le théâtre des opérations s’étendait à la Grèce septentrionale et aux côtes d’Asie Mineure. Aucune décision n’ayant pu intervenir, une paix fut conclue entre Athènes et Sparte en 421, à laquelle ne s’associèrent pas tous les belligérants. Cette paix, dictée par la lassitude générale, ne résolvait rien. La guerre n’allait pas tarder à reprendre, larvée d’abord, puis ouverte lorsque Athènes eut entrepris de mener une expédition en Sicile.

Quand en 429 Périclès mourut, une des dernières victimes de la peste, son crédit était déjà sérieusement entamé. L’homme qui, dans les années qui suivirent, dirigea la politique athénienne fut Cléon, un riche tanneur qui voulait à tout prix maintenir l’empire d’Athènes. Mais il mourut au siège d’Amphipolis, peu avant la conclusion de la paix de 421, et depuis lors deux hommes dominaient la vie politique, le riche Nicias, modéré, hostile à toute aventure, et Alcibiade, démocrate par tradition familiale, mais soucieux surtout de sa gloire. C’est lui qui fit décider par l’Assemblée l’expédition de Sicile. Le prétexte était de soutenir certaines cités de l’île (Segeste, Léontinoi) contre les ambitions syracusaines, et, pour ce faire, de prendre pied en Sicile où les Athéniens escomptaient de nombreux appuis, tant parmi les indigènes sicules hellénistes que parmi les Grecs. Mais cette entreprise commença mal. Alcibiade, impliqué dans une affaire de sacrilège, fut rappelé avant même d’avoir débarqué en Sicile et s’enfuit. Nicias, qui commandait également l’expédition à laquelle il était hostile, ne mena pas les opérations avec assez d’énergie, et, par ailleurs, les secours attendus lui firent défaut. Les Athéniens réussirent bien à débarquer dans l’île, mais ils échouèrent devant Syracuse, durent battre en retraite, puis se rendre à l’ennemi qui les massacra (413). Pour Athènes, l’expédition de Sicile constituait un grave échec.

Dans le même temps, Sparte reprenait la lutte, envoyait de l’aide aux Syracusains, cependant qu’un corps expéditionnaire spartiate s’établissait en Attique et occupait la forteresse de Décélie. De là, les Lacédémoniens pouvaient lancer des attaques sur le territoire athénien; leur présence provoqua la fuite de vingt mille esclaves travaillant au Laurion, dont l’exploitation se trouva de ce fait pratiquement interrompue. À Athènes même, le mécontentement était si grand que les adversaires de la démocratie réussirent à se rendre maîtres de la cité. Ils entamèrent aussitôt des négociations avec Sparte. Mais l’opposition des marins et des soldats de la flotte athénienne cantonnée à Samos fit échouer le complot oligarchique. Les opérations reprirent en mer Égée, conduites du côté athénien par Alcibiade, rentré en grâce. Mais les quelques succès remportés par celui-ci restèrent sans lendemain. Sparte en effet, grâce aux subsides du roi des Perses et de ses satrapes, réussit à équiper une flotte qui, sous la conduite du navarque Lysandre, se rendit maîtresse de positions stratégiques importantes en mer Égée, et infligea à la flotte athénienne une grave défaite à Aigos-Potamos (405). Athènes, affamée, assiégée par la flotte de Lysandre, fut contrainte d’accepter en 404 la paix dictée par Sparte, une paix qui la privait de son empire, de la plus grande partie de sa flotte et des Longs Murs qui assuraient sa défense.

Le IVe siècle: crise de la cité

La guerre du Péloponnèse bouleversait donc l’équilibre qui s’était établi en Grèce dans les premières décennies du Ve siècle. Le monde grec au IVe siècle porte la marque des transformations qui s’opérèrent alors. Toutes ne furent pas immédiatement perceptibles, mais elles intervinrent à plus ou moins long terme et précipitèrent le déclin de la cité grecque. La guerre avait d’abord entraîné des pertes importantes, tant du point de vue humain qu’économique. Les campagnes étaient ravagées et le thème de la misère paysanne apparaît constamment dans la littérature du IVe siècle. Certes, les différentes parties de la Grèce ont été inégalement touchées. L’Attique a souffert assurément et, tout au long du siècle, les plaintes des pauvres vont s’amplifiant; elles ne semblent pourtant jamais mettre en cause l’équilibre de la cité. Il n’en va pas de même ailleurs, et singulièrement dans le Péloponnèse où les luttes sociales atteignent une exceptionnelle gravité, tandis que réapparaissent les mots d’ordre révolutionnaires de partage des terres et d’abolition des dettes. Parfois à la faveur des troubles s’établit une tyrannie, qui n’a plus que de lointains rapports avec celle de l’époque archaïque. Le tyran est généralement un chef de mercenaires, qui se rend maître de la cité et y fait régner sa loi, tel Denys à Syracuse et Euphrôn à Sicyone. Le mercenariat constitue d’ailleurs l’une des plaies de la Grèce du IVe siècle. Il est la conséquence directe de la crise sociale qui jette sur les routes égéennes des masses de pauvres dépourvus de terre, pour qui le métier de la guerre est le seul moyen de subsister. Les gens privés de patrie par la misère, prêts à se louer au plus offrant, constituent une menace permanente pour les cités. En même temps, le recours de plus en plus fréquent aux armées de mercenaires, s’il favorise l’adoption d’une tactique plus souple à laquelle reste attaché le nom du stratège athénien Iphicrate, peut avoir au sein des cités les plus stables de graves conséquences. L’exemple athénien, qui est le mieux connu, est à cet égard significatif. Les stratèges athéniens, qui au Ve siècle étaient les magistrats suprêmes de la cité, tendent à devenir des professionnels de la guerre, laissant à d’autres le soin de diriger les affaires intérieures, tandis qu’eux-mêmes mènent à l’extérieur une politique qui n’est pas toujours exempte de préoccupations personnelles.

Ces traits nouveaux s’affirment surtout dans la seconde moitié du IVe siècle, annonciateurs de l’époque hellénistique. Les premières décennies du siècle semblent, en effet, malgré la coupure de la guerre, prolonger le siècle précédent. La défaite d’Athènes a été sans lendemain, de même que le gouvernement oligarchique que les amis de Sparte avaient instauré à l’issue du conflit; la démocratie restaurée à partir de 378, Athènes semble prête à retrouver l’hégémonie en Grèce. D’autant plus que Sparte, son ancien adversaire, n’a pas réussi malgré sa victoire à surmonter une crise intérieure sur laquelle on est mal renseigné, mais qui ruine inexorablement l’antique système égalitaire spartiate et annonce les révolutions du IIIe siècle. L’un des aspects de cette crise, le plus apparent, est ce que les Anciens appelaient l’«oliganthropie», le manque d’hommes qui se traduit par un déclin de la puissance militaire spartiate. La défaite infligée à Leuctres, en 371, à l’armée lacédémonienne par le général thébain Épaminondas marque le début de la ruine de Sparte, qui perd peu à peu ses positions dans le Péloponnèse et doit renoncer à toute grande politique extérieure.

Mais, si le déclin de Sparte favorise le renouveau de la puissance d’Athènes, celle-ci doit compter avec les prétentions thébaines en Grèce centrale et dans le Péloponnèse. Il lui faut aussi, si elle veut maintenir ses positions dans l’Égée et assurer le paiement des armées de mercenaires qu’elle emploie de plus en plus, revenir aux pratiques qui, au Ve siècle, lui avaient aliéné la majeure partie du monde grec et qu’elle avait solennellement condamnées dans le pacte de 378. Il en résulte la guerre des alliés, qui éclate en 357 et ouvre une nouvelle période dans l’histoire des cités grecques. Aucune de celles-ci désormais ne peut plus prétendre à l’hégémonie car, comme le remarque le rhéteur athénien Isocrate, la misère les a mises toutes sur le même plan.

C’est donc en ordre dispersé qu’elles vont affronter le nouveau danger qui depuis 359 menace la liberté grecque: Philippe, le roi des Macédoniens. Celui-ci, devenu le maître d’un royaume puissant situé aux marges du monde grec, a entrepris une dure mais lente progression, à la fois vers l’est, c’est-à-dire vers la Thrace où depuis la fin du VIe siècle Athènes a des intérêts puissants, et vers le sud, vers la Thessalie dont la possession lui permet de contrôler toutes les voies d’accès vers la Grèce. Les Grecs d’abord ne virent pas, ou feignirent de ne pas voir, le danger. À Athènes, les défaites subies du fait des alliés avaient amené à la tête de la cité un groupe d’hommes qui, derrière le financier Eubule, préconisaient une politique de paix, seule capable de rendre à la cité son équilibre et de restaurer ses finances gravement compromises par des guerres continuelles. L’orateur Démosthène se heurtait à l’indifférence générale lorsqu’il dénonçait le danger macédonien. Ailleurs, Philippe trouvait des complaisances, des gens prêts à le défendre, voire à l’aider, grâce peut-être à des largesses intéressées. Toutefois, après qu’en 346, il eut réussi à entrer au conseil amphictyonique qui administrait le sanctuaire de Delphes, devenant ainsi l’arbitre du monde grec, les exhortations de Démosthène parurent rencontrer un accueil plus favorable. Il réussit à constituer une coalition qui rassemblait autour d’Athènes une partie des cités péloponnésiennes et Thèbes, l’irréductible adversaire, avec pour mission de s’opposer à l’avance de Philippe en Grèce centrale. Un effort militaire exceptionnel fut alors entrepris, mais en vain. Philippe, vainqueur en 338 à Chéronée, en Béotie, pouvait désormais dicter sa loi au monde grec.

De fait, peu après la conclusion de la paix avec Athènes, il convoqua à Corinthe un congrès de toutes les cités grecques. Un pacte d’alliance fut conclu, la ligue de Corinthe: elle réunissait autour de Philippe, devenu son «hégémon», la plupart des cités et des peuples de la Grèce, le but de cette alliance étant d’amener contre le roi des Perses une guerre de vengeance et de conquête. Philippe mourut en 336, avant que son projet eût reçu un commencement d’exécution. Mais son fils Alexandre devait le reprendre et lui donner les dimensions que l’on sait.

Alexandre et l’époque hellénistique

La Grèce ne fut que très partiellement associée à l’épopée du conquérant macédonien, bien que le pacte de Corinthe ait été renouvelé à l’avènement du jeune prince. Celui-ci avait dû mater durement avant son départ un soulèvement dont Thèbes avait pris l’initiative. Il prit soin de laisser en Grèce des troupes prêtes à intervenir en cas de nouveaux troubles, ce qui explique la relative passivité des Grecs pendant l’absence de celui qui était devenu le maître de leurs destinées. Il y eut bien en 331 un début d’agitation dont l’initiative revint au roi de Sparte, Agis. Mais celui-ci n’obtint pas les appuis qu’il escomptait et sa tentative se solda par un échec. Athènes, pourtant dirigée alors par de farouches adversaires de la Macédoine, tels Démosthène, Hypéride ou Lycurgue, ne fit rien pour contrarier l’action du Macédonien, même lorsque le trésorier de celui-ci, Harpale, se fut réfugié chez elle avec de l’argent qu’il était prêt à mettre à la disposition des ennemis de son roi. Seule l’annonce de la mort du conquérant provoqua un ultime sursaut, celui qui est connu sous le nom de guerre lamiaque (322); il se solda par un échec et, pour la première fois, une garnison macédonienne fut installée au Pirée, cependant que le général macédonien Antipatros imposait une réforme de la Constitution qui, privant plus de la moitié des citoyens de l’exercice des droits civiques, détruisait en réalité la démocratie qui avait fait pendant près de deux siècles la grandeur d’Athènes.

La fin de la démocratie athénienne signifiait aussi la fin du monde des cités grecques. Désormais en effet, celles-ci se trouvent prises dans les luttes qui opposent entre eux les successeurs d’Alexandre et, si elles peuvent avoir parfois l’illusion de la liberté retrouvée, c’est généralement au prix d’alliances chèrements payées: ainsi lorsqu’à Athènes la démocratie est restaurée par Démétrios Poliorcète en 307, les honneurs divins qui furent rendus au brillant stratège macédonien et à son père Antigonos indiquent combien illusoire était cette restauration. Après 280, l’empire d’Alexandre se trouva définitivement partagé entre les Lagides (Égypte), les Séleucides (Asie) et les Antigonides (Macédoine); la Grèce devint alors l’enjeu des rivalités qui opposaient les souverains macédoniens entre eux, et singulièrement les Lagides et les Antigonides, tandis que les Séleucides dominaient plus ou moins directement les cités grecques d’Asie, et que, de son côté, la Grèce d’Occident passait dans l’orbite de Rome (prise de Tarente en 272).

Cependant, au cours du siècle qui précède la conquête romaine, la Grèce n’a cessé de s’appauvrir. Athènes vit de plus en plus repliée sur elle-même, depuis que le Pirée a cessé d’être le principal marché égéen; le Péloponnèse surtout est secoué de fréquents sursauts révolutionnaires qui témoignent de la gravité de la situation. À Sparte, la volonté réformatrice des rois Agis IV et Cléomène III se heurte à de violentes résistances, et la crainte que la révolution préconisée par Cléomène se répande et soulève les masses appauvries amène les cités réunies au sein de la puissante ligne achéenne à solliciter l’intervention du roi de Macédoine, Antigonos Dôsôn; ce dernier, vainqueur de Cléomène à Sellasie en 222, rétablit l’ordre dans le Péloponnèse. Mais lorsque, quelques années plus tard, Sparte de nouveau apparaît comme une menace pour l’ordre social, c’est à Rome que la «bourgeoisie» achéenne fait appel.

Depuis la fin du IIIe siècle, Rome s’intéresse à l’Orient et plus particulièrement à cette Macédoine dont le roi Philippe II a été l’allié d’Hannibal. Pour l’affaiblir, elle n’hésite pas à s’engager dans l’inextricable jeu de la politique grecque. À l’aube du IIe siècle, il n’existe en Grèce que deux puissances qui comptent: la ligue étolienne au nord-ouest et la ligue achéenne qui rassemble, à l’exclusion de Sparte, les principales cités pélo-ponnésiennes. Les cités en effet, on l’a vu précédemment, sont toutes affaiblies, et seuls désormais ont pouvoir de parler aux rois d’égal à égal ces koina qui rassemblent des cités de faible importance, mais dont la cohésion interne fait la force. Or, depuis 222, les Achéens sont alliés au roi de Macédoine. C’est donc vers les Étoliens que Rome se tourne d’abord; c’est à eux qu’elle apporte un appui intéressé qui lui permet de prendre pied en Grèce, d’y proclamer par la bouche du consul Flamininus la liberté des Grecs (196), mais une liberté au sens romain du terme, qui suppose d’abord le maintien de l’ordre.

Ainsi s’achevait une histoire qui avait duré plusieurs siècles et qui devait laisser au monde un héritage immense.

3. La domination romaine

La conquête

Il a fallu à Rome plus d’un siècle pour conquérir et incorporer dans son empire le monde hellénique issu de la conquête d’Alexandre.

Les efforts des derniers rois de la Macédoine, Philippe V et son fils Persée, ceux d’Antiochos III de Syrie pour organiser la défense de l’hellénisme furent contrecarrés par Rome avec l’aide des cités et des États grecs eux-mêmes. Les victoires romaines contre Philippe V (Cynoscéphales, 197), contre Antiochos III (traité d’Apamée, 188), contre Persée (Pydna, 168) ont déjà fait du monde grec et hellénistique un protectorat romain, et, après l’écrasement de la dernière révolte de la Macédoine par Caecilius Metellus en 146, Rome commence à annexer, l’une après l’autre, les formations hellénistiques. Le royaume de Macédoine, auquel on joint les territoires illyriens pour le mettre en contact direct avec l’Adriatique et l’Italie, est réduit en province et paye tribut.

La résistance de la ligue achéenne et d’un grand nombre de cités à l’intervention romaine dans leurs affaires, peu brillantes par ailleurs, finit par la défaite complète, l’anéantissement de Corinthe et la soumission de la Grèce (146).

Le tour du royaume de Pergame viendra bientôt. Un soulèvement de la population conduit par Aristonicos, fils naturel d’Eumène II, contre l’exécution du testament d’Attale III qui léguait à Rome ses trésors et ses domaines, fut maté par l’armée romaine secondée par les cités grecques. La plus grande partie du royaume se transforme en province romaine, la province d’Asie (129).

L’empire des Séleucides, réduit à la Syrie après les échecs d’Antiochos III (273-197) et d’Antiochos IV Épiphane (175-163) pour le relever, restera indépendant encore un siècle. Miné par les luttes intestines entre princes séleucides, par les guerres contre les Lagides d’Égypte, par les mouvements séparatistes des princes vassaux, par les attaques des Parthes, progressivement envahi par les tribus arabes, il sera finalement annexé à l’Empire par Pompée en 64 avant J.-C. et formera la province de Syrie.

La guerre contre les pirates qui, à partir des côtes du sud-ouest de l’Asie Mineure et des îles, ravageaient la Méditerranée orientale (78-66), les campagnes contre Mithridate VI (132 env.-63), roi du Pont qui, ayant réussi à former un État gréco-asiatique puissant, manifestait sa volonté d’indépendance, permettent à Rome d’annexer la majeure partie de l’Asie Mineure et les grandes îles, puis d’organiser ces territoires en provinces romaines.

La situation de l’Égypte n’est pas meilleure que celle de la Syrie: révolutions de palais, intrigues du gynécée, rivalités entre favoris, luttes pour le pouvoir entre princes lagides, révoltes des indigènes contre l’élément grec, interventions des Séleucides marquent son histoire tout au long des IIe et Ier siècles, jusqu’au moment où Auguste, après avoir triomphé d’Antoine et de Cléopâtre à Actium, annexa le pays en le transformant en province romaine directement attachée au domaine du prince (30 av. J.-C.).

Ainsi, à la fin de la République, la presque totalité du monde hellénique se trouve soumise à Rome.

L’organisation politique

La conquête du monde grec et de l’Orient hellénistique, qui fut lente et qui ne paraît pas avoir obéi à un plan d’ensemble, à une politique réfléchie et cohérente, garda pendant la période de la République, et même au-delà, un caractère d’occupation militaire et d’exploitation directe par des moyens plus fiscaux qu’économiques. Ce caractère militaire de l’occupation détermine en premier lieu l’organisation des régions conquises. Longtemps le schéma en reste simple, voire rudimentaire. Les territoires annexés deviennent des «provinces» sur lesquelles un magistrat possédant l’imperium militaire exerce, comme délégué du peuple romain, tous les pouvoirs. Les domaines des anciens rois, mais aussi ceux de certaines villes qui avaient particulièrement résisté à l’avance romaine, sont désormais propriété du peuple romain et sont déclarés ager publicus . Une loi spéciale pour chaque province, votée au moment de sa création, constituait une sorte de charte, délimitant son territoire, définissant son statut spécial et celui des cités situées sur son sol, fixant le montant et les modalités du tribut à payer, ce qui n’empêchait pas les gouverneurs, maîtres absolus dans leurs provinces, de commettre toutes sortes d’abus et d’exactions.

En l’absence de tout organisme étatique, les finances et l’exploitation étaient confiées à des fermiers, les «publicains». Ceux-ci, par l’intermédiaire de sociétés capitalistes, contrôlaient effectivement les provinces, imposant leur volonté aux gouverneurs et aux sénateurs à Rome.

Néanmoins, l’attachement prolongé de la Rome républicaine au régime traditionnel de la cité, dont les magistrats suppléaient dans les provinces au manque d’un appareil adéquat d’administration centrale, permit aux cités grecques de prolonger leur indépendance pour quelques siècles encore, à condition évidemment de demeurer fidèles à l’Empire du point de vue militaire et diplomatique.

Rien n’est plus varié et plus changeant dans le temps que le statut accordé par Rome à ces cités; il dépendait en effet de leur attitude au moment de l’occupation d’une région, ou des vicissitudes des événements en Orient. On peut pourtant discerner quelques principes généraux et quelques tendances constantes dans l’évolution de ce système. En principe, les cités grecques d’une région soumise restaient autonomes et gardaient leurs anciennes institutions. Certaines même, tributaires des rois hellénistiques, recouvraient leur indépendance. C’est le cas des villes de la Grèce après la soumission de la Macédoine (146), de celles du royaume de Pergame après son annexion (129), de celles de Syrie, de celles du Pont après la défaite finale de Mithridate. Mais les ligues et les confédérations de cités n’étaient plus tolérées. La ligue achéenne, probablement celle des Étoliens, et les confédérations de Béotie et de l’Eubée furent dissoutes après la soumission de la Grèce; quant aux citoyens, ils n’avaient pas le droit de posséder ou d’acquérir des biens – ni probablement de se marier – dans une autre cité. Un nombre relativement restreint de cités ayant opposé une résistance étaient attachées directement au territoire d’une province, la plupart d’entre elles devenaient tributaires de Rome. Les cités neutres ou alliées demeuraient exemptes de toute imposition et étaient déclarées, les unes «fédérées», les autres «alliées» ou «libres»; des traités particuliers réglaient leurs statuts.

C’est ainsi qu’Athènes et Rhodes, les deux plus importantes formations étatiques du monde helladique et égéen, ainsi que certaines villes d’Asie Mineure, continuent à avoir une vie politique propre. Athènes est particulièrement favorisée dès le début de l’occupation romaine: elle a gardé ses possessions en Attique et dans les îles; Délos, déclarée port franc, lui est encore attachée. Rhodes, affaiblie pour un certain temps, recouvre sa puissance et ses territoires d’Asie après la défaite de Mithridate (Dardanos, 85 av. J.-C.). Thasos devient une ville libre et centre d’un petit État comprenant les îles voisines et ayant des possessions en Macédoine. Byzance est déclarée ville libre.

Économie et société

Si les différends entre cités sont depuis Pydna (168) réglés par l’arbitrage sous le patronage de Rome, les luttes politiques intérieures qui reflètent les luttes sociales de plus en plus aiguës continuent et s’aggravent. Les gouverneurs romains et les agents en mission interviennent constamment dans ces conflits et donnent en général leur appui aux partis oligarchiques. Le gouvernement des cités passe progressivement aux mains des riches, le régime démocratique est de plus en plus faussé.

Le développement sans précédent de l’économie du monde grec dans la Méditerranée et en Orient durant la période hellénistique ne s’arrêta pas avec l’occupation romaine. Le IIe et le Ier siècle avant J.-C. sont des périodes d’expansion économique, mis à part un court moment de régression. Malgré les guerres de la conquête, malgré l’activité des pirates en mer et des tribus arabes en Orient sur terre, les convois commerciaux sillonnent la Méditerranée de la mer Noire à Gibraltar, les relations avec l’Asie continuent par la mer Rouge. Rhodes est encore une république marchande d’importance, malgré la concurrence de Délos. Située au carrefour des routes commerciales, celle-ci est devenue le principal centre du commerce en Méditerranée, le plus grand marché d’esclaves en Orient, attirant les commerçants venus de tous les coins du monde méditerranéen qui forment des colonies et des compagnies commerciales grecques, juives, italiennes, syriennes. Athènes, qui possédait les ressources du Laurion, développe son activité commerciale après la défaite de la Macédoine; ses belles monnaies ont cours légal chez tous les Grecs. L’agriculture, le commerce, l’industrie du verre enrichissent les cités syriennes; l’activité des grandes villes d’Asie Mineure et d’Alexandrie ne fléchit pas.

Un processus de transformation des structures sociales du monde grec, commencé déjà au IIIe siècle, accompagne cette expansion économique. Les gens d’affaires, de plus en plus nombreux, accumulent des richesses et deviennent de véritables capitalistes. Dans les royaumes hellénistiques surtout, mais aussi dans les cités de la Grèce proprement dite, on constate la concentration de la terre entre les mains d’un nombre toujours plus restreint de grands propriétaires fonciers. À ces groupes de possédants s’oppose la foule des esclaves qui travaillent dans les champs, dans les ateliers et dans les mines, auxquels s’ajoute un nombre croissant d’ouvriers libres, de métèques dans les villes, de paysans appauvris ou sans terre sur les grands domaines. Les clivages anciens se déplacent et s’accentuent.

Les luttes sociales qui avaient marqué les cités grecques depuis le IIIe siècle (tentative de réformes sociales à Sparte, celles d’Agis et de Cléomène, surtout celle de Nabis en 204, puis celles de la ligue achéenne; révolte des ouvriers de Corinthe en 146) et qui expliquent, plus que les particularismes locaux, la dissension entre cités, se généralisent. L’exploitation sans merci des provinces occupées par les gouverneurs, les publicains et les negotiatores romains, ainsi que par les consuls qui cherchent en Grèce et en Orient les ressources nécessaires pour vider leurs querelles (les batailles les plus décisives des guerres civiles entre Romains eurent lieu en Grèce: Pharsale, Philippes, Actium), concourt à l’extension de ce mouvement. En Orient et en Occident, les masses des esclaves et des défavorisés sont touchées par la propagande égalitaire de caractère communisant de certains cercles philosophiques et religieux, qui ont pour mots d’ordre l’abolition des dettes, la répartition de la terre, le droit de cité pour tous et la libération des esclaves. Partout éclatent des troubles, suivis de répressions sanglantes et de l’instauration dans les cités de gouvernements de plus en plus oligarchiques: soulèvement des esclaves en Sicile (135-132), révolte d’Andriscos de Pergame appuyée par les esclaves et les couches inférieures de la population (131-129), agitation des esclaves du Laurion à Athènes (131), insurrection à Délos (130) qui entraîne pour les Athéniens la perte d’une partie du pouvoir au profit des marchands et armateurs étrangers et des résidents romains, nouvelles révoltes des esclaves en Sicile et à Athènes en 104-100, à la suite desquelles la constitution d’Athènes devient oligarchique (102-101), soulèvement général en Asie Mineure et en Grèce contre l’exploitation romaine et les oligarchies indigènes pendant la première période des guerres de Mithridate (89-85) qui, dans sa lutte contre Rome, se présentait lui aussi comme le champion des libertés et des réformes sociales.

4. L’hellénisme dans l’Empire romain

Ces changements profonds dans les structures politiques et sociales du monde grec ont leur répercussion sur la vie intellectuelle. De nouvelles orientations se dessinent. Un esprit cosmopolite commence à dominer la pensée grecque, qui se met à la portée de tous les peuples avec lesquels les Grecs sont en contact. La conquête de Rome elle-même par la civilisation hellénique est un fait capital, tant pour l’avenir des Grecs que pour l’histoire de l’Empire.

L’hellénisation de Rome

L’hellénisation de Rome, commencée déjà sous la République, s’accomplit sous le principat et le Haut-Empire (Ier-IIe s. apr. J.-C.). Elle finit par changer la mentalité même des occupants. Elle se manifeste d’abord dans la religion: Rome accepte les dieux de la Grèce ou les assimile aux divinités italiques; elle en accepte aussi les rites. Les religions à mystères de l’Orient pénètrent à Rome et gagnent les classes inférieures de la population, tandis que les classes dirigeantes s’initient à l’enseignement des sectes religieuses et à la philosophie grecque. Les écoles philosophiques – la Troisième ou Nouvelle Académie à Athènes, l’école stoïcienne de Rhodes – s’y propagent et leurs chefs (Carnéade, Panaitios entre autres) y font de longs séjours. Le pythagorisme, dont l’aspect mystique s’approfondit, voit son influence grandir. Les épicuriens propagent des idées égalitaires et deviennent les théoriciens des partis révolutionnaires.

La domination de l’hellénisme est plus marquante encore dans l’art et la littérature. Les œuvres d’art sont transférées à Rome, où des ateliers de copistes travaillent pour les riches Romains et où s’installent un grand nombre d’artistes grecs sûrs de trouver des commandes. La littérature latine de l’époque ne se compose que de traductions ou d’adaptations d’ouvrages grecs ou bien d’œuvres écrites sur des modèles grecs. L’usage de la langue grecque se généralise et la bonne société romaine devient bilingue. Les cénacles hellénisants ne cessent de se développer. Plusieurs auteurs romains écrivent directement en grec. Finalement, l’idéologie même du pouvoir, le droit et l’organisation de la société et de l’État s’inspirent des «États» hellénistiques, des Attalides, des Séleucides et des Lagides.

L’hellénisation de l’Orient et l’unification du peuple grec

À partir du Ier siècle avant notre ère, Rome, sûre de sa force, abandonne l’hostilité et la méfiance de l’époque républicaine où elle n’avait pas hésité à favoriser les barbares de l’Asie, particulièrement les Parthes, contre l’hellénisme. Elle commence à comprendre que l’élément grec en Orient peut devenir un facteur important pour l’unité et la défense de l’Empire. Cela entraîne un changement radical de la politique romaine. Désormais l’hellénisme, bénéficiant de la «paix romaine» et encouragé par la puissance occupante, peut consolider ses positions et étendre son influence dans laquelle Rome voit un moyen efficace pour propager l’idée impériale.

Les anciennes cités gardent leurs libertés et leurs magistrats; le système des cités se généralise. Dans la Grèce qui, depuis 27 avant J.-C., constitue avec les îles la province d’Achaïe, Athènes et Sparte continuent à former des États «libres». Athènes bénéficie des faveurs particulières des empereurs: Néron, Hadrien qui l’agrandit, Marc Aurèle qui organise son Université en créant des chaires de philosophie (176 apr. J.-C.). Le mécène Hérode Atticus l’embellit. Néron déclare toute la Grèce libre, état illusoire de courte durée (67 à 70 ou 74 apr. J.-C.). En Macédoine, Thessalonique et Amphipolis deviennent des villes «libres», les cités de l’ancienne Pentapolis sur le littoral occidental du Pont reçoivent le statut des cités «fédérées». En Asie Mineure et en Syrie, Pergame, Smyrne, Éphèse, Antioche, Byzance et d’autres villes retrouvent leur ancienne splendeur. En Égypte même, on introduit, dans les circonscriptions administratives nouvellement créées, les nomoi , une organisation analogue à celle des cités; Alexandrie est dotée d’une boulè à l’époque des Sévères. L’hellénisation est générale, la communauté juive avait traduit depuis longtemps l’Ancien Testament en grec.

De plus, on reconstruit les villes détruites et l’on en fonde de nouvelles: César, puis Auguste rebâtissent Corinthe qui, avec le statut de «colonie» romaine, devient la plus importante cité de la Grèce; on édifie Patras dans le Péloponnèse (16 apr. J.-C.) qui, jouissant du statut de colonie, devient un port important; Nicopolis, fondée par Auguste après la victoire d’ Actium, domine l’Épire; une série de municipia et des colonies sont créées en Macédoine.

Le système des cités pénètre les régions récemment soumises: en Thrace, annexée en 47 après J.-C. et organisée au début en villages groupés en «comarchies» et en «stratégies», les empereurs fondent des villes (Traianoupolis, Photeinopolis, Augusta Traiana, Hadrianoupolis, Marcianoupolis) et des comptoirs commerciaux (emporia ).

Toutes ces cités, dont la population est essentiellement grecque (les colonies romaines s’hellénisèrent très vite) et dont la direction est entre les mains des Grecs aidés par la politique impériale, poursuivent activement l’œuvre d’hellénisation de l’Orient. L’hellénisation de l’Asie Mineure dominée par cinq cents cités environ devient de plus en plus profonde et elle s’étend aux provinces centrales nouvellement annexées (Cappadoce en 17 apr. J.-C., Galatie en 25, Lycie en 43). En Syrie, elle fait de grands progrès, dépassant les centres urbains et gagnant la campagne. De nouvelles régions sont touchées, tels le nord de la Macédoine et la Thrace; d’autres, comme la Mésie et dans une certaine mesure la Dacie, sont pour la première fois en rapports directs avec le monde méditerranéen et entrent dans la sphère d’influence de l’hellénisme. Les parlers indigènes cèdent la place au grec qui devient la langue commune, puisqu’elle est celle du commerce et de la culture, et prend bientôt rang de langue semi-officielle à côté du latin dans l’administration.

D’autre part, la politique romaine autorise désormais et encourage même la reconstitution, bien que sous d’autres formes et dans un contexte politique différent, des anciennes confédérations de cités (koina ). Il existe de telles confédérations en Grèce, groupant presque toutes les cités sous un helladarque; les amphictyonnies delphiques survivent comme associations religieuses et leurs statuts sont réorganisés par Auguste, puis par Hadrien. Ce dernier fonde la fédération des Panhellènes avec Athènes pour capitale. Des koina se créent aussi dans d’autres provinces: en Macédoine, en Thrace sous un thracarque, dans les cités du littoral est du Pont sous un pontarque, en Bithynie sous un bithyniarque avec Nicomédie comme capitale, dans le littoral sud du Pont sous un pontarque avec Amastris comme capitale, dans la province d’Asie (le koinon des Grecs d’Asie) sous un asiarque.

Certes, le rôle essentiel de ces confédérations et de leurs assemblées provinciales n’est que religieux, le chef de certaines d’entre elles porte le titre d’archiereus et elles sont chargées d’organiser le culte de Rome et d’Auguste instauré après la victoire d’Actium. Pourtant cette institution, à laquelle l’aspect politique ne manque pas totalement et qui était la seule dorénavant à grouper le monde grec et hellénisé dans des formations dépassant le cadre étroit des cités, contribuait à l’assimilation progressive des éléments hellénisés par la communauté grecque et au développement d’une conscience d’unité ethnique.

L’hellénisme intégré

Le libéralisme romain envers les peuples occupés eut bientôt pour résultat l’intégration de ces peuples à l’Empire. En Orient, le monde grec et hellénisé des cités fut particulièrement favorisé. Le plus important des facteurs de cette intégration fut le développement de l’appareil étatique de l’Empire; il dota les provinces d’une véritable administration centrale pour rendre la justice et pour gérer les affaires fiscales et les revenus des domaines publics et impériaux, délivra les provinces de l’exploitation à laquelle se livraient les publicains, qui disparurent progressivement. Il s’ensuivit une diminution de la résistance populaire contre l’occupation.

L’évolution des statuts et des régimes intérieurs des cités vers l’uniformisation favorisa également cette intégration. Rome étend peu à peu à toutes les cités le statut de municipe et de colonie, de «droit latin» ou de «droit romain». Leurs magistrats bénéficient du «droit latin ordinaire», leurs décurions du «droit latin majeur» créé par Hadrien. Finalement, en 212, Caracalla accorde à tous les citoyens le droit de cité romaine. Ainsi les couches supérieures de la population hellénisée d’Orient qui dirigeaient les cités participent progressivement à la hiérarchie des fonctionnaires et des dignitaires de l’Empire; elles commencent même à entrer de plus en plus nombreuses, surtout à partir de Trajan, dans l’ordre sénatorial et à se sentir liées à l’idée impériale romaine.

Pendant le Ier et le IIe siècle de notre ère, les cités continuent à constituer des États disposant d’une certaine autonomie dans le règlement de leurs affaires intérieures; l’Empire est, en apparence du moins, un agrégat de cités-États. Mais, dès cette époque, les régimes variés de ces entités politiques évoluent vers une uniformisation qui, à la fin du IIIe siècle, aboutit au schéma suivant: une assemblée primaire de tous les citoyens prenait les décisions générales et élisait les magistrats; au-dessus, une boulè composée d’une centaine de notables (bouleutai-decuriones ), dont la liste était établie tous les cinq ans par les magistrats et comprenait les anciens magistrats et les citoyens les plus riches et les plus en vue, avait pour fonction de surveiller et de contrôler les élus. Enfin, le collège des magistrats annuels, qui constituaient le gouvernement de la cité. La disparition progressive de ce qui restait d’esprit démocratique dans les cités grecques est l’autre caractéristique essentielle de cette évolution. Les assemblées primaires sont de moins en moins souvent réunies. Le pouvoir effectif se concentre entre les mains des riches bouleutai qui se transforment en une caste héréditaire (splendidissimus ordo ). L’autonomie relative des cités tend aussi à disparaître dans les faits. Rome intervient dans leurs affaires intérieures, en nommant d’abord des commissaires spéciaux pour contrôler leurs finances (logistai ), puis en transformant les décurions en auxiliaires des représentants du gouvernement central, chargés de la répartition des impôts et responsables de la recette. Les décurions deviennent des curiales , constituant un ordre héréditaire dont tous les grands propriétaires, puis tous les possesseurs d’une certaine importance, sont membres. La magistrature des cités se change en une administration municipale qui prolonge l’appareil du gouvernement central. Les cités grecques s’intègrent administrativement dans l’Empire.

L’hellénisme, du moins ses classes dirigeantes, intégré politiquement dans l’Empire, ne perd pas pour autant sa propre personnalité. Pour la première fois, il est politiquement unifié dans son ensemble et il a acquis une pleine conscience de son unité en tant que peuple; il se présente en masses compactes en Grèce continentale et insulaire, en Épire, en Macédoine et en Thrace, ces trois dernières régions étant alors bien incorporées dans l’ensemble du monde grec, et dans une grande partie de l’Asie Mineure (régions côtières et partie occidentale»; il déborde même ces contrées dans des agglomérations plus ou moins denses dans les Balkans du Nord et dans les pays qui environnent la Méditerranée orientale; il constitue désormais l’élément prépondérant de la partie orientale de l’Empire à laquelle il imprime sa marque et donne sa physionomie particulière.

Or, cette région est celle qui, depuis la fin du IIe siècle et surtout à partir du IIIe siècle, devient la plus dynamique de l’Empire. Habitée par des peuples de civilisation millénaire, la plus riche en villes, entretenant avec l’Extrême-Orient des rapports commerciaux établis par les Grecs depuis l’époque hellénistique, elle a été la seule au Ier siècle à rivaliser avec l’Italie, pays privilégié des occupants et qui tenait la première place dans l’économie du monde romain d’alors. Ce sont les Grecs et les Orientaux plus ou moins hellénisés formant la bourgeoisie des cités qui profitent de la «paix romaine», de l’unification économique de la Méditerranée, de la politique générale de Rome et de ses conséquences pour l’économie: libéralisme commercial, construction de routes, aménagement de ports, amélioration des techniques commerciales et de la navigation, et surtout élargissement sans précédent de l’espace économique qui s’étend, grâce aux conquêtes, de l’Extrême-Orient jusqu’aux îles Britanniques et de l’Afrique jusqu’à l’Europe du Nord. L’activité économique urbaine se développe à partir du milieu du IIe siècle, quand l’économie de l’Italie commence à péricliter et quand la création du nouvel axe commercial ouest-est le long du Danube, mettant en rapport direct la Germanie, la Pannonie et les pays danubiens avec l’Orient, s’ajoute à l’axe méditerranéen qui perd son importance primordiale. Les centres de l’économie se trouvent groupés de nouveau dans l’Orient, dont l’organisation urbaine résistera mieux et plus longtemps que celle de l’Occident aux tendances autarciques d’une économie domaniale plus ou moins fermée, qui se répand à mesure que se développent le mouvement de concentration de la terre entre un petit nombre de propriétaires et l’extension des latifundia. C’est ainsi que les provinces orientales pourront faire face victorieusement à la crise du IIIe siècle et acquerront la prééminence dans l’Empire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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